Des «postes royaux» encore très masculins

Le monde hospitalier est, aujourd’hui, massivement féminin, et à tous les niveaux. D’abord, chez les aides soignantes et les infirmières, deux métiers où les pourcentages de femmes avoisinent les 90 %. Néanmoins, les médecins hospitaliers sont majoritairement des femmes. Il y a cependant des postes de responsabilités, et surtout les «postes royaux», baptisés PU-PH, c’est-à-dire les professeurs de médecine, où les hommes dominent fortement. «Au début, quand j’ai été nommée professeure, il y a vingt ans je me retrouvais souvent seule ou isolée comme femme dans les réunions. Maintenant, ce n’est plus le cas, on est toujours quelques-unes», raconte Sonia Alamowitch.

Un mode d’organisation qui change

«Dans la vie de service, je ne vois pas trop de différence», réfléchit à voix haute Sonia Alamowitch. «Sauf peut-être que l’on doit faire attention aux congés maternité. C’est ce que je dis à nos chefs de clinique, faites attention à ne pas faire des enfants toutes en même temps.» Alors que les hôpitaux sont très largement féminisés, les congés maternité ne sont plus du tout remplacés à l’hôpital, et cela quel que soit le poste.

Sur l’organisation, on pressent quelques petits changements, mais ceux-ci semblent plus visibles en médecine de ville. Les femmes médecins gèrent mieux leur temps ; elles sont, par exemple, près de 70 % à accéder aux agendas électroniques avec prises de rendez-vous en ligne, elles travaillent en moyenne six heures de moins par semaine, privilégiant le temps partiel et l’exercice salarié.

Pourtant, cet écart se resserre, les hommes cherchant aussi à diminuer leur rythme d’activité. Et cette tendance est confirmée par la Direction générale de la santé qui estime que le temps de travail des médecins devrait progressivement diminuer d’environ 5 % d’ici vingt ans. En revanche, les femmes médecins se syndiquent deux fois moins que les hommes.

Un univers féminin plus empathique ?

Des neurologues de l’hôpital Saint-Antoine poursuivent leurs réflexions sur la féminisation de leur métier. Une jeune chef de clinique de l’hôpital : «J’ai toujours été dans un univers féminin.» , une plus âgée : «C’est vrai que le changement est spectaculaire, les neurologues avant, c’étaient tous des mecs intellos, avec des nœuds papillons, maintenant ce n’est plus le cas.» Une autre, encore : «C’est plus facile d’exercer en tant que femme.» Et à la chef de service de conclure : «La bascule s’est faite dans les années 90.»

Toutes tombent d’accord sur ce constat : «Le problème, ce n’est pas tant d’être une femme, mais de faire jeune ou pas. Si on est femme et d’apparence jeune, alors le patient va se tourner inévitablement vers l’étudiant homme externe qu’il prend pour le médecin.» Certes, mais tout cela a-t-il induit ou non des changements dans les relations avec les patients ? Réponse incertaine : «Cela dépend des patients. Comme la pathologie que l’on traite en neuro est lourde, les patients nous prennent de toute façon au sérieux, ils sont dans une situation de grande vulnérabilité.» Valérie, neurologue dans le service depuis dix ans : «Bien sûr, on va dire que nous les femmes, on est plus fait pour le “care” que pour le “cure”, mais est-ce si vrai»? La chef de service surenchérit :«Nous avons une empathie normale, classique. Le problème est que souvent les hommes cachent leur empathie, là est la différence.»

Plus d’attention au «contexte» du malade ?

Toutes, pourtant, se retrouvent sur un point de différence avec leurs collègues masculins qu’énonce Valérie : «Nous sommes plus attentifs au contexte du patient.». Une autre le confirme : «Dans ces maladies chroniques et handicapantes que nos patients peuvent avoir, on va tenir peut-être plus compte du contexte social. Cependant,  sur le moment, en urgence, face à des situations difficiles de vie ou de mort, il n’y a pas de différence, je ne crois pas du tout que cela puisse dépendre du sexe du médecin.»

Quelques rares études ont semblé pourtant indiquer le contraire. L’une récemment publiée dans le journal Jama a conclu à une différence de prise en charge chez les patients âgés, en fonction du sexe du médecin. Valérie poursuit : «Peut être est-on plus enclin à travailler avec d’autres disciplines, et que l’on est moins enfermé dans notre service ?». Et d’argumenter : «La grande différence, aujourd’hui, c’est que les patients veulent beaucoup plus d’explications. Ils se plaignent parfois que l’on n’ait pas assez de temps pour leur expliquer leur situation. Est-ce que nous, les femmes médecins prenons plus le temps ? Je ne peux pas dire…» Puis elle ajoute : «Pour moi, on ne peut pas isoler l’effet de cette féminisation du corps médical avec d’autres phénomènes qui sont apparus dans le monde de la santé, en particulier la montée des droits des patients.»

La montée en puissance des droits des malades

C’est un fait : durant les cinquante dernières années, cette féminisation de la médecine ne constitue pas le seul bouleversement dans le monde de la santé. Il y a eu, en effet, la montée en puissance des droits des malades et de leurs associations. Comment faire la part des choses ? Rien ne dit que la féminisation du corps médical y ait joué un rôle. De même, il y a ce constat que, la médecine devenant de plus en plus spécialisée, il y avait aussi une urgence à instaurer une cohérence d’ensemble dans la prise en charge. A l’évidence, les femmes médecins sont moins rétives à ces partenariats multiples.

Autre singularité, la féminisation du corps médical intervient à un moment très particulier de l’histoire de la médecine, au moment où la médecine s’est mise à… guérir pour de bon. Y a-t-il un lien ? «Avant le médecin était un dieu, il ne l’est plus ; on parle d’égal à égal avec nos patients. Et nous, nous n’avons aucune nostalgie de ce temps révolu», fait ainsi remarquer Marion.

Les patients préfèrent-ils les femmes ? Une enquête de la TNS Sofres réalisée en France (certes en 2002) concluait que 73 % des personnes interrogées étaient indifférentes au sexe de leur médecin, mais les sondés considéraient à 94 % que la féminisation du métier était une bonne chose. Dans les propos échangés, une part importante des patients disaient préférer une femme médecin pour une meilleure qualité de la relation. D’autres études pointent que les patients parlent davantage aux médecins féminins qu’aux médecins masculins ; les patients jugeant même que ces derniers ont plutôt tendance à les interrompre.

Alors révolution ou simple adaptation ? En tout cas, la relation malade-médecin est devenue fluctuante, beaucoup plus dépendante de la personnalité des acteurs que d’un cadre pré-établi. C’est une relation qui se cherche, qui hésite.

Le médecin est redescendu sur terre, qu’il soit femme ou homme. «Je ne suis pas très convaincu que cette féminisation a apporté beaucoup sur les droits des malades, conclut Claire Compagnon, longtemps militante associative et aujourd’hui membre de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). En fait, je vois plutôt des modifications dans l’organisation des soins, bien plus que dans la relation.»